jeudi 27 février 2014

Le Blues du Businessman

Un an, un an sans écrire. Du moins, sans écrire ici. Mais je n’ai pas été inactif, loin s’en faut.
Est-ce que ne plus rien faire, c’est un peu se laisser aller, mourir ? Je ne sais pas j’avoue.

Je crois que personnellement je suis parti dans un sens inverse, j’en fait énormément, peut-être trop, je ne sais pas juger. Mais je veux bien avouer qu’il s’agit quelque part d’une fuite.
Encore une fois, je veux bien le dire moi-même et l’entendre, une fuite, mais je ne suis pas capable d’analyser plus loin et de savoir ce que je fuis.

Je me suis lancé avec enthousiasme dans la comédie, m’engageant dans deux troupes pour être sur scène plus souvent. Rien de narcissique là-dedans, juste le plaisir énorme que je retire d’être sur scène.
Je ne peux vraiment pas le décrire différemment que « être à sa place ». Pour les personnes qui connaissent ce sentiment, elles comprendront, pour les autres, il faut imaginer que d’un coup, le ciel s’ouvre, on voit le soleil, les os se réchauffe, l’amour nous envahi, on oublie tout (on pourrait rester des heures sur place) et c’est une évidence qu’on se trouve au bon endroit au bon moment. Oui, c’est fort, mais c’est ce que je ressens sur scène.

Je continue bien sûr mes cours d’art de la parole avec les cours de déclamation et d’art dramatique (parcours avec apprentissage, examen, cours…).

Je me suis lancé plus sérieusement aussi dans la peinture. Je peins depuis que je suis enfant, avec plus ou moins de régularité (les irrégularités pouvant durer des années). Là, sur peu de temps, je peins pour les autres, je vends et j’expose. C’est une étape cela, c’est aussi se montrer aux autres, mais via le truchement de la toile.

Puisqu’il me restait un peu de temps, ben j’ai commencé des cours de danse. Du Lindy Hop, une forme de swing (proche du Charleston). Voilà peut-être une activité plus intime, plus personnelle, même si au finale on se retrouve à danser dans les soirées, sur piste.

Il y a quand même un lien entre toutes ces activités : le fait de m’exprimer, de me montrer aux autres directement ou via des médiums, de sortir quelque chose de moi qui n’est pas une production immédiate.
Si la journée, je suis payé pour fournir un travail (ou bien je travaille pour être payé ?), quand je peins, c’est d’abord moi qui m’exprime sur la toile, qui mets « à plat » des sentiments, des sensations.
Les toiles sont tellement différentes que j’aille bien ou non, que je peigne la nuit ou le jour. C’est extrêmement personnel. Mais c’est « gratuit » comme acte, je le fais pour moi en premier lieu. Par la suite, si on m’achète une toile ce sera marchand aussi, mais contrairement au travail quotidien, c’est un « plus », cela vient après.
Et si on me commande une toile, cela reste un travail très personnel, juste cadré par la demande du requérant.
Pour la scène, c’est aussi un travail personnel en premier lieu. Ce que les gens voient, bien sûr, c’est le travail fini, quand on est sur scène pour offrir au public la prestation. Mais pour la dizaine de représentations, il y a des mois de travail en amont, et ce travail est souvent un travail sur soi. Il faut trouver son personnage, le comprendre, se l’approprié. Puis travailler le texte avec ou sans accent, avec les défauts du personnage. Puis on met tout cela en mouvement. La représentation est mon gagne-pain, ma récompense pour le travail fourni, mais tout le travail fait avant m’apporte bien plus que cela.
Et la danse, il faut du travail aussi pour pouvoir s’amuser. Quand les pas sont connus, il faut les exercer, des heures, et puis seulement on s’amuse librement sur la piste. Oui, une fois que les pas ne se réfléchissent plus, que les jambes dansent automatiquement, cela devient un véritable plaisir partagé avec sa cavalière sur la piste, en soirée ou lors des cours dans la salle de danse.

Et donc, toutes ces activités complémentaire sont en fait un apport très personnel, une exploration intime qui permet de sortir ce qui ne va pas, d’apprendre sur soi, de changer, de gagner en connaissance, d’être heureux en tombant, de se relever en apprenant, d’évoluer, de vivre.

Pour certain, ils trouveront tout cela dans leur travail, alliant ainsi rémunération en argent avec rémunération personnel.

J’aimerais bien, aussi, un jour en faire mon travail quotidien.

J’aurais voulu être un artiste, je serai un artiste, je veux être un artiste … je suis un artiste.

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Le Blues du Businessman, Claude Dubois, 1978